Appartenance d’immeubles à une entreprise agricole
Au moment de son décès, C. possède une quinzaine de parcelles constituant un domaine viticole. Dans le cadre de la succession, il est nécessaire de déterminer quels bâtiments du domaine sont indispensables à l'exploitation et lesquels ne le sont pas, les premiers devant être estimés à leur valeur de rendement et les seconds à leur valeur vénale. S’il n’est pas contesté qu’au moment du décès l’ensemble des parcelles forment une entreprise agricole, la Commission foncière agricole constate, par voie de décision, que l’une des parcelles n’est pas indispensable à l’entreprise viticole. Celle-ci se situe au centre du village et comprend trois bâtiments : l’avant du bien-fonds comporte une maison d’habitation d’une dizaine de pièces ainsi qu’un magasin et des espaces de stockage ; l’arrière est composé d’un grand hangar qui n’est pas utilisé et d’un second hangar dans lequel sont entreposés deux enjambeurs. L’appartenance de cette parcelle à l’exploitation agricole est toutefois contestée.Le Tribunal fédéral est ainsi chargé de déterminer si ce bien-fonds tombe dans le champ d’application territorial et matériel de la LDFR et, partant, si elle fait partie de l’entreprise viticole. L’art. 2 al. 2 let. a LDFR mentionne trois conditions pour que l'immeuble concerné tombe dans le champ d'application de la loi : l'immeuble doit faire partie d'une entreprise agricole ; il doit être situé en zone à bâtir ; et enfin, il doit comprendre des bâtiments et installations agricoles. Les deux premières conditions sont remplies en l’espèce et cela n’est pas contesté ; il reste toutefois à déterminer si l’immeuble litigieux comprenant les trois bâtiments doit être qualifié d’agricole. D’après le Message, le but de la disposition précitée est d’éviter que des entreprises agricoles ne puissent pas être reconnues comme telles car certains bâtiments – telles que l’habitation – nécessaires à la qualification d’entreprise se trouvent en zone à bâtir. L 'art. 7 LDFR définit les différents éléments constitutifs de l'entreprise agricole et la présence de ceux-ci est indispensable à la reconnaissance d'une telle entreprise. Toutefois, ni l’art. 2 al. 2 let. a ni l’art. 7 LDFR ne limitent le nombre de bâtiments et d'installations qui peuvent appartenir à une entreprise agricole. Pour tomber dans le champ d'application de l'art. 2 al. 2 let. a LDFR, il suffit que les bâtiments situés en zone à bâtir puissent être qualifiés d'agricoles et fassent partie d'une entreprise ; ils n’ont pas besoin d’être nécessaires à celle-ci. En l’espèce, l’immeuble litigieux abrite un magasin dans lequel l’exploitant vend le vin produit par l’entreprise. La vente directe de produits provenant de l’exploitation doit être considérée comme le prolongement de l’activité agricole. L’affectation d’une partie d’un immeuble à un usage agricole entraîne l’application de la LDFR à son ensemble ; ainsi, sans même devoir examiner la question de l’habitation de la maison, il convient de considérer, d’après le Tribunal fédéral, que la parcelle litigieuse appartient à l’entreprise viticole.
NB : Cette interprétation restrictive de l’affectation agricole par le TF est surprenante. En effet, le TF se contente d’examiner si, au moment de l’ouverture de l’action, l’immeuble litigieux est affecté à l’agriculture. Cela est la porte ouverte aux abus. En effet, il y a lieu d’examiner, selon nous, à partir de quel moment cette affectation agricole existe, et quel est le but poursuivi. Si ces questions ne sont pas examinées, cela permettrait à un exploitant agricole d’affecter à l’agriculture, unilatéralement, un immeuble en zone à bâtir, qui n’a jamais été affecté à l’agriculture dans le passé, afin de l’inclure dans l’entreprise agricole et bénéficier de la valeur de rendement. Selon nous, il y a lieu de rappeler que l’attribution d’une entreprise agricole à la valeur de rendement est une exception à la lésion de la réserve légale, acceptée par le législateur dans le cadre d’une politique agricole qui souhaite renforcer la position de l’exploitant agricole. Cette lésion de la réserve légale ne doit pas dépendre de la volonté subjective d’un exploitant agricole. Elle doit être objective, en examinant les circonstances et le but poursuivi par l’affection agricole d’un immeuble. Prof. José-Miguel Rubido