Dernier moment pour chiffrer une demande ; cessibilité d’un droit de préemption
B.A, propriétaire d’un terrain, a conclu, en 1985, un contrat de vente avec parcellisation avec D.B. Les parties conviennent parallèlement d’un droit de préemption réciproque de trente ans sur les deux parcelles. Au décès de B.A, en 1990, le parcelle est transmise à A.A et C.A, ses filles. D.B quant à lui cède la propriété de sa parcelle à ses fils, B.B et C.B, suite à la conclusion avec ces derniers d’un contrat de cession en vue d’une succession future. En 2013, A.A et C.A transfèrent la propriété de leur parcelle à un tiers suite à la conclusion d’un contrat de vente. Informés de la vente trois jours plus tard, B.B et C.B invoquent leur droit de préemption le 3 octobre 2013. Estimant que leur droit de préemption a été violé, B.B et C.C ouvrent une action en justice et réclament le transfert de la parcelle en leur nom ainsi qu’au versement de dommages-intérêts. Ils ne chiffrent pas leur demande, car ils attendent les résultats d’une expertise concernant l’estimation de la valeur vénale du terrain. Ils indiquent donc simplement qu’il s’agit d’un montant encore à chiffre dépassant CHF 30'000, et ne chiffrent leur demande qu’au moment des plaidoiries finales.
Le Tribunal fédéral examine dans un premier temps la question du dernier délai pour chiffrer une demande. S’il est déraisonnable voire impossible pour une partie de chiffrer sa demande, elle doit simplement indiquer une valeur litigieuse minimale provisoirement (art. 85 al. 1 CPC) et « chiffrer sa demande dès qu’elle est en état de le faire » (art. 85 al. 2 CPC). L’interprétation de cette disposition est controversée en doctrine, mais le Tribunal fédéral confirme sa jurisprudence récente (TF 5A_847/2021 du 10 janvier 2023) d’après laquelle cette norme n’impose pas de délai, et qu’un chiffrement lors des plaidoiries finales n’est pas problématique.
Cet arrêt est également l’occasion pour le Tribunal fédéral de clarifier la question de la cessibilité d’un droit de préemption. D’après l’art. 216b CO, un droit de préemption n’est pas cessible, sauf convention contraire. Cette disposition n’est toutefois entrée en vigueur qu’en 1994, et dans le cas d’un droit de préemption convenu avant cette date, il convient d’interpréter la validité de la cession à l’aune de l’ancien droit : un tel droit n’est généralement pas cessible, mais la cessibilité peut résulter de la volonté des parties ou des circonstances particulières du cas d'espèce. En l’espèce, en raison de l’âge de B.A (81 ans) au moment de la conclusion du contrat, il était évident dès le départ que la succession se produirait de son côté pendant la durée du droit de préemption. Personne n'avait pensé à l'éventualité que l'un des immeubles, au lieu d'être légué en cas de décès, puisse un jour être cédé de son vivant aux héritiers présumés en vue d'une succession future, comme cela s'est effectivement produit du côté de D.B. Le Tribunal fédéral retient donc que si les parties contractantes initiales (B.A et D.B) avaient intégré dans leurs réflexions la possibilité d'une cession entre vifs des immeubles au compte d'une future succession aux descendants, elles auraient convenu de la cessibilité du droit de préemption. Le droit de préemption a donc valablement été cédé.